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QUELS ORGANES POUR REALISER EFFICACEMENT L’ALIGNEMENT DES TEXTES ADMINISTRATIFS AVEC LA NOUVELLE CONSTITUTION DU 19 DECEMBRE 2024 ?

  1. CONTEXTE : URGENCE CONSTITUTIONNELLE ET ADMINISTRATIVE

Au Gabon, la promulgation d’une nouvelle constitution, le 19 décembre 2024, a profondément transformé l’architecture juridico-institutionnelle du pays donnant une orientation présidentielle au régime politique. Au nombre des changements majeurs apportés par cette constitution, il y a la dévolution de la fonction de Premier ministre, Chef du gouvernement au Président de la République. En d’autres termes, il n’y a plus deux autorités distinctes qui exercent séparément les fonctions de Président de la République, Chef de l’Etat, d’une part et de Premier ministre, Chef du gouvernement, d’autre part. Les deux fonctions sont désormais exercées par une seule autorité selon l’article 69 de la loi fondamentale. Cette nouvelle organisation, au sein du pouvoir exécutif, pose plusieurs défis pour l’administration, notamment : celui de l’inventaire et de la révision, en profondeur, de l’ensemble des textes administratifs qui font référence au Premier ministre comme autorité de décision ou de consultation.

De même, les procédures et textes sur lesquels le visa du Premier ministre et/ou sa signature sont requis sont également concernés par la révision tout comme l’ensemble des textes qui font référence à la constitution de 1991 (lois organiques y comprises) ainsi que tous les textes aujourd’hui caducs du fait de l’entrée d’une nouvelle loi constitutionnelle.

Selon les propos de l’ancien Secrétaire Général de la Présidence de la République, Monsieur Guy ROSSATANGA-RIGNAULT, il y a plus de 1000 textes administratifs concernés par cet exercice révisionnel. Il s’agit donc d’un travail de grande envergure qui nécessitera à la fois la mobilisation de divers acteurs (politiques, administratifs, experts juridiques, société civile…) mais aussi une organisation de travail rigoureuse et méthodique en vue d’une révision efficace. La mise en œuvre de ce travail permettra d’éviter les contradictions et vides juridiques, sources de potentiels blocages administratifs.

Par ailleurs, cette révision revêt une urgence élevée depuis l’élection du Président de la République, Chef du gouvernement, en avril 2025, actant par la même occasion l’entrée en vigueur de la nouvelle Constitution conformément aux dispositions de son article 173.

Pour réaliser ce vaste chantier nous proposons une architecture de travail inclusive et structurée dont pourrait s’inspirer les gouvernants pour relever ce pari si essentiel au bon fonctionnement de notre administration. Cette architecture de travail repose sur la création d’un organe de pilotage stratégique (I) : la Commission Nationale de Révision des Textes Administratifs (CNRTA). Cette Commission sera accompagnée dans ses missions par des unités opérationnelles et sectorielles, chapeautées par un comité centralisateur : le Comité Technique National (CTN) de révision des textes administratifs (II).

  1. L’ORGANE DE PILOTAGE STRATEGIQUE : LA COMMISSION NATIONALE DE REVISION DES TEXTES ADMINISTRATIFS

Véritable colonne vertébrale du processus, la Commission Nationale de Révision des Textes Administratifs (CNRTA) doit incarner la vision et l’autorité nécessaires à la conduite de cette réforme. Loin d’être une simple chambre d’enregistrement, elle se doit d’être le centre d’impulsion névralgique, un levier décisionnel stratégique et politique garant de la cohérence d’ensemble.

Placée sous une présidence incarnant la plus haute autorité de l’État, sa composition doit associer les présidents des chambres du Parlement, les ministres régaliens (Fonction publique, Budget et Justice…), le Secrétaire Général du Gouvernement, ainsi que les experts et partenaires sociaux (syndicats national de la Magistrature, Ordre des Avocats, syndicats ou centrale syndicale d’agents publics, Association des Juristes d’Entreprise et d’Administration du Gabon etc). Les missions de cette instance devront être fondamentalement stratégiques : supervision globale du processus, définition de la stratégie de travail, élaboration d’un calendrier réaliste, validation des textes révisés et garantie de la parfaite conformité des nouvelles dispositions administratives avec la nouvelle constitution et le droit international. La CNRTA doit également veiller à la coordination interministérielle et préparer une stratégie de communication à destination de l’ensemble des parties prenantes et du public.

Dans le détail, la CNRTA aura pour missions :

  • De superviser la révision des textes administratifs et d’en valider les actes définitifs ;

  • De coordonner le Comité Technique National (CTN), de faire toute observation, de donner toute instruction ou orientation utile et nécessaire à celle-ci en vue de trouver des solutions pratiques et techniques selon les cas ;

  • De recenser l’ensemble des textes concernés par la révision ;

  • D’établir un calendrier clair et réaliste tout en élaborant un plan de révision systématique des textes par priorité et urgence ;

  • De contrôler et d’évaluer les impacts de la réforme en vue d’identifier les ajustements nécessaires à faire pour adapter les textes administratifs le plus efficacement possible ;

  • De Veiller, en dernier ressort, à ce que les nouvelles dispositions soient conformes à la nouvelle Constitution et cohérentes avec l’ordonnancement juridique national et international applicable au Gabon ;

  • De solliciter les avis du Conseil d’Etat et de la Cour constitutionnelle, selon les cas, pour s’assurer de cette conformité juridique ;

La composition de la CNRTA pourrait être la suivante :

-le Président de la République ou son représentant, Président de la Commission ;

-le Vice-Président du Gouvernement ou son représentant, 1er Vice-président ;

-la Présidente du Sénat ou son représentant, 2ème Vice-président ;

-le Président de l’Assemblée nationale ou son représentant, 3ème Vice-président,

-le Président du Conseil Economique Social et Environnemental ou son représentant, 4ème Vice-président ;

-le Secrétaire Général du Gouvernement ou son représentant, 1er Rapporteur 

-le ministre de la Fonction publique et du renforcement des capacités ou son représentant, 2ème Rapporteur ;

-le ministre d’Etat chargé de l’Economie, des Finances, des Participations, de la Dette et de la lutte contre la vie chère ou son représentant, membre ;

-le ministre de la Justice, Garde des Sceaux, chargé des droits humains ou son représentant, membre, le Président du syndicat national de la magistrature ou son représentant et le Bâtonnier de l’Ordre des avocats ou son représentant, membres ;

-deux Présidents des organisations syndicales du secteur public, choisis parmi les dirigeants des syndicats publics les plus représentatifs ou leurs représentants, membres ;

– le Président de l’Association des Juristes d’Entreprise et d’Administration du Gabon (AJEAG) ou son représentant, membre.

La CNRTA étant l’organe de pilotage stratégique, il lui faudra nécessairement un bras séculier, c’est-à-dire une unité opérationnelle pour mettre en œuvre ses orientations : le Comité Technique National.

  1. LE COMITE TECHNIQUE NATIONAL : l’UNITE OPERATIONNELLE DE LA REFORME

Pour traduire en actes les orientations stratégiques de la CNRTA, un Comité Technique National (CTN) devra être mise en place.

Véritable bras armé opérationnel, le CTN devra être l’organe technique et exécutif des instructions et orientations de la CNRTA.

En plus de cet objectif, le CTN devra superviser, coordonner, centraliser et harmoniser les travaux des comités ministériels de révision des textes administratifs. Autrement dit, chaque ministère mettra en place un comité de révision des textes administratifs qui travaillera sur la base des orientations et instructions du CTN. Pour une meilleure efficacité, ces comités ministériels pourront être regroupés en fonction de la proximité de leurs différents champs d’action. Par exemple, le ministère de la communication et des médias ainsi que le ministère de l’économie numérique, de la digitalisation et de l’innovation pourraient avoir un comité unique composé des juristes de ces deux départements ministériels et d’experts techniques non juristes. Le CTN veillera à ce que ce travail révisionnel sectoriel soit réalisé conformément à la vision stratégique de la CNRTA. En tant qu’organe opérationnel, il pourra siéger, à travers ses membres, lors des travaux des comités ministériels. Il sera également un organe consultatif dont pourrait se servir les comités ministériels en cas de difficulté.

Le CTN agira selon l’étendue des missions que lui confèrera la CNRTA mais cela n’en fera pas un représentant auprès des comités ministériels de révision des textes administratifs ; la CNRTA restant l’organe de pilotage stratégique et politique de la réforme. Les deux organes pourront être créés par un même décret précisant leurs compositions, attributions et fonctionnements respectifs. Le CTN aura un rôle d’appui opérationnel à la CNRTA. Les attributions du CTN devront être précises et cruciales. Il sera, entre autres, chargé :

-De mener des recherches approfondies pour recenser, avec exhaustivité et précision, l’ensemble des textes administratifs à réviser ;

-De superviser et d’assister les comités ministériels de révision des textes administratifs et de veiller à ce que les travaux desdits comités soient réalisés conformément aux instructions et orientations de la CNRTA ; d’analyser, d’orienter et de centraliser les travaux des comités ministériels de révision des textes ;

-D’exercer un contrôle, en premier ressort, de l’harmonie et de la conformité des travaux des comités ministériels à la nouvelle constitution et à l’ordonnancement juridique interne et international avant leur transmission à la CNRTA pour validation finale ;

-De rédiger des avant-projets de textes en collaboration avec les comités ministériels et de traduire les orientations de la CNRTA en textes juridiques précis et opérationnels adaptés ;

– D’assurer la gestion documentaire : numériser et archiver les textes révisés pour faciliter leur diffusion et leur mise en œuvre ultérieures, d’organiser des consultations techniques et de collaborer avec les ministères et les institutions concernés pour recueillir leurs contributions ;

-De produire des rapports d’avancement à chaque étape pour informer régulièrement la CNRTA de l’état d’avancement des travaux de révision et de l’alerter en cas de difficulté etc.

C’est à ce niveau que des défis pratiques, tels que la clarification des compétences entre le Président de la République, Chef du gouvernement et le Vice-Président du Gouvernement ainsi que la prévention d’une surcharge administrative devront être résolus par une rédaction juridique précise des textes. En outre, il faudra définir une organisation claire des mécanismes de délégation des pouvoirs adaptés. En tant que structure opérationnelle, le CTN sera composée d’informaticiens et gestionnaires de bases de données pour numériser et organiser les textes administratifs concernés, de techniciens non juristes et de spécialistes en droit, en administration et en gestion des réformes institutionnelles. De façon plus exhaustive, le CTN pourrait être composée de la manière suivante :

-le Conseiller Spécial, chef de département juridique de la Présidence de la République ou son représentant, Président ;

-le Directeur Central des Affaires Juridiques ou le Chef de département juridique de la Vice-présidence du gouvernement, 1er Vice-président ;

-le Président de la commission des lois du Sénat ou son représentant, 2ème Vice-président ;

-le Président de la commission des lois de l’Assemblée nationale ou son représentant, 3ème Vice-président,

-le Conseiller spécial, Directeur de la législation au Secrétariat Général du Gouvernement ou son représentant, 1er Rapporteur 

-le Directeur Général de la Fonction publique ou son représentant 2ème Rapporteur ;

-le Directeur Général du budget ou son représentant, membre ;

-le Directeur des affaires juridiques du ministère de la Fonction publique et les Directeurs des services informatiques de la Présidence de la République, du ministère de la Fonction Publique et de la Justice, membres ;

-Des Juristes représentant le ministère de la Justice, des magistrats représentant le syndicat national de la magistrature, des avocats représentant l’Ordre des avocats, membres ;

-Des enseignants de droit public, dont des spécialistes du droit constitutionnel et du droit administratif, membres ;

– des experts non juristes, des membres de la société civile, particulièrement des représentants des organisations syndicales du secteur public et des membres de l’Association des Juristes d’Entreprise et d’Administration du Gabon (AJEAG) selon leurs spécialités, membres ;

  1. CONCLUSION

L’après transition, marqué par l’avènement de la Vème République, représente une occasion unique de réformer l’administration, de la rendre performante et efficace au service de l’intérêt général. La consécration constitutionnelle d’un régime présidentiel caractérisé, entre autres, par la jonction des fonctions de Président de la République, Chef de l’Etat et de Premier ministre, Chef du gouvernement soulève de nombreux défis pour l’administration dont celui de l’alignement des textes administratifs à la nouvelle constitution du 19 décembre 2024. Sans cet exercice révisionnel, c’est toute la machine administrative qui se trouverait bloquée. Le Gabon pourrait s’inspirer des exemples kenyan (2010), marocain (2011) et tunisien (2014) en matière de révision des textes administratifs faisant suite à l’adoption d’une nouvelle constitution.

Tout en clarifiant les responsabilités et les compétences, au sein du nouvel exécutif, la réforme devra contribuer à simplifier les circuits décisionnels et les procédures, sources de lourdeurs administratives. Nous proposons que deux entités principales organisent méthodiquement ce vaste chantier : la Commission Nationale de Révision des Textes Administratifs (CNRTA), organe de pilotage stratégique et son bras armé opérationnel, le Comité Technique National (CTN). Ces derniers doivent être mis en place, sans délai, au regard de l’urgence de leurs missions. Leurs actions, fondées sur l’expertise et l’inclusion contribueront à construire un environnement juridique robuste et cohérent, propice au climat des affaires et au développement du pays. Le succès de la CNRTA et du CTN dépendra de leur capacité à collaborer étroitement avec toutes les parties prenantes et à respecter les délais impartis sur la base d’un calendrier clair et réaliste. Ces deux entités incarneront l’effort du Gabon pour moderniser ses institutions et renforcer l’État de droit dans un contexte de réformes ambitieuses initiées par le Président de la République, Chef de l’Etat, Chef du gouvernement. L’enjeu ici dépasse la seule technique normative ; il s’agit ni plus ni moins que de poser les fondations d’une administration gabonaise rénovée et résolument tournée vers l’avenir.

Biographie de l’auteur 

Je suis Marcel Warrel ELLA EBANE, juriste, politiste et délégué à la Protection des Données Personnelles (DPO) âgé d’une trentaine d’années. Après une expérience professionnelle de plusieurs années au Gabon, puis en France, essentiellement dans les métiers de juriste et de DPO, j’ai décidé de rentrer au Gabon pour servir mon pays et contribuer à son développement. J’occupe actuellement les fonctions de Chef de Service Juridique et Marchés au Commissariat Général au Plan. En outre, je suis le Président-Fondateur de l’Association des Juristes d’Entreprise et d’Administration du Gabon, première association professionnelle de ce type au Gabon qui compte 320 membres et sympathisants.

Mon amour pour les questions administratives et la polyvalence de mon profil (Master à Sciences Po Paris en Management des Politiques de Développement et Phd en Business Diplomacy au Centre d’Etudes Diplomatiques et Stratégiques de Paris en cours d’obtention, Master en droit et contentieux obtenu au Gabon, attestation en évaluation des politiques publiques obtenue à l’Institut National du Service Public en France (ex ENA France) et certificat en Partenariats Public -Privé décroché à l’Institut d’Administration des Entreprises de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne) m’ont conduit à rédiger une série d’articles dans le but d’éclairer les gouvernants sur les réformes à mener en vue de moderniser l’administration publique gabonaise et de la rendre plus performante.

La présente tribune est un acte 2, car elle s’inscrit dans le prolongement d’un précédent libre propos publié le 15 avril sur Com’UA ayant pour thématique : Réviser les textes administratifs pour les adapter à la nouvelle réalité constitutionnelle au Gabon : une urgence à ne pas négliger.

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