La nouvelle Constitution gabonaise a été promulguée le 19 décembre 2024. Elle consacre un changement majeur dans l’architecture juridique et institutionnelle du pays par la suppression de la fonction de Premier ministre. Cette décision vise à renforcer la centralisation du pouvoir exécutif autour du Président de la République et met un terme au débat sur le déséquilibre des pouvoirs entre ce dernier et le Premier ministre.
Avec cette réforme, les prérogatives de Chef de l’administration (article 55 de la nouvelle constitution) et de Chef du gouvernement (article 69 du même texte) seront dorénavant dévolues au Président de la République alors qu’elles étaient exercées par le Premier ministre dans l’ancienne Constitution du 26 mars 1991.
Bien qu’elle réjouisse certains, la disparition de la fonction de Premier ministre dans la loi fondamentale comporte néanmoins un défi important pour l’administration : celui de la révision de l’ensemble de ses textes législatifs et réglementaires afin de les adapter à cette nouvelle réalité constitutionnelle. Cet exercice révisionnel est indispensable non seulement pour éviter les contradictions et vides juridiques, mais aussi pour anticiper les éventuels blocages administratifs qui en découleraient.
Le présent article dresse un état des lieux (I) et analyse les enjeux d’une révision juridique d’envergure (II). Il propose également des recommandations à mettre en œuvre en vue d’opérer efficacement cette adaptabilité textuelle (III). In fine, il tire les enseignements des différentes réflexions sur le sujet en guise de conclusion (IV).
Etat des lieux
Les textes relatifs à la nomination des hauts fonctionnaires, à la gestion des finances publiques, à la coordination des politiques publiques, à la coordination interministérielle, à la supervision des administrations publiques, à la gestion des ressources humaines de l’Etat mentionnent souvent le Premier ministre en tant qu’autorité exécutive centrale. Ces dispositions légales et réglementaires lui reconnaissent le pouvoir de présider, de décider ou d’être consulté dans certaines matières.
Concernant son pouvoir de présider, l’article 25 de la loi n° 8/91 du 26 septembre 1991 portant statut général des fonctionnaires consacre le Premier ministre comme président du Conseil Supérieur de la Fonction Publique, organe administratif en charge d’examiner tous les éléments utiles pour l’amélioration du fonctionnement du système administratif. En cette qualité, le Premier ministre donne son avis sur les grandes orientations de la Fonction Publique.
De même, l’article 29 de la loi n°21/2000 du 10 janvier 2001 déterminant les principes fondamentaux de l’Enseignement Supérieur en République Gabonaise fait du Premier ministre le Président du Conseil National de l’Enseignement Supérieur, un organe chargé d’assister le gouvernement dans la politique de promotion des Universités et des Etablissements d’enseignement supérieur.
En matière de gestion des personnels de l’Etat, l’article 22 de la loi n° 8/91 du 26 septembre 1991 portant statut général des fonctionnaires énonce que : « (…) sous réserve de l’article 29 de la Constitution (ndlr Constitution du 26 mars 1991), le Premier Ministre :
procède, sur proposition des ministres intéressés, aux intégration, titularisation ou licenciement, changement de spécialité, nomination, promotion, changement de position et radiation des effectifs ;
– Inflige, sur avis des conseils de discipline compétents, toutes sanctions disciplinaires majeures visées à l’article 129 ;
– décerne toutes récompenses prévues aux articles 145 et 146 (…….) ».
Cette dernière disposition est reprise, en substance, par l’article 7 de la loi n°3/88 du 31 juillet 1990 fixant les conditions générales d’emploi des agents contractuels de l’État.
En matière syndicale, l’article 21 de la loi n° 18/92 du 18 mai 1993 fixant les conditions de constitution et le fonctionnement des organisations syndicales des agents de l’État confère au Premier ministre le pouvoir de désigner un médiateur en cas de non-conciliation entre une administration et un syndicat à la suite d’une grève.
Sur le plan consultatif, l’article 23 du statut général des fonctionnaires institue une consultation obligatoire du Premier ministre si le Président de la République souhaite, à titre exceptionnel, déroger aux règles du statut général de la Fonction publique en cas de nécessité urgente ou lorsqu’un intérêt supérieur le justifie.
En matière d’organisation des services, l’article 29 de la loi n° 20/2005 du 3 janvier 2006 fixant les règles de création, d’organisation et de gestion des services de l’Etat donne au Premier ministre le pouvoir de fixer par décret la liste des services publics à autonomie de gestion de l’Etat. De même, certains services comme le Secrétariat Général du Gouvernement (SGG) dépendent directement du Premier ministre, leur réorganisation est donc un véritable défi.
Dans tous ces différents cas et dans bien d’autres, une révision méthodique de l’ensemble des textes administratifs citant le Premier ministre est nécessaire pour éviter des interruptions dans l’action gouvernementale et administrative. Sans celle-ci, plusieurs dispositions des codes et statuts de la fonction publique pourraient devenir obsolètes voire contradictoires. Une telle situation créerait des vides et incertitudes juridiques sources de potentiels blocages administratifs.
Après avoir fait un état des lieux, analysons maintenant les enjeux de la révision des textes applicables à l’administration.
Enjeux de la révision des textes administratifs
La révision des textes administratifs en vue de les adapter à la nouvelle organisation constitutionnelle pose d’abord un enjeu juridique (A), ensuite un enjeu politique (B) et enfin un enjeu opérationnel (C).
Enjeu juridique
La révision des textes administratifs doit respecter les principes de la hiérarchie des normes et de la sécurité juridique. Les futures dispositions révisées devront être conformes à la Constitution et cohérentes avec l’ordonnancement juridique gabonais.
Enjeu politique
Cette réforme soulève des questions relatives à la redistribution et à la répartition des pouvoirs du Premier ministre au sein du nouvel exécutif. Une révision transparente et inclusive des textes administratifs peut contribuer à légitimer la réforme et à rassurer les acteurs politiques ainsi que la société civile.
Enjeu opérationnel
Les administrations publiques doivent être accompagnées dans cette transition pour éviter des dysfonctionnements. Des formations et guides pratiques pourraient être nécessaires pour aider les fonctionnaires à s’adapter aux nouvelles procédures.
En sus de ces enjeux importants, quelles peuvent donc être les recommandations à appliquer en vue d’une révision efficace ?
Recommandations pour une révision efficace
Une révision efficace doit passer par la création d’une commission spécialisée (A) et par la formation et l’accompagnement des personnes concernées (B).
Création d’une commission spécialisée de révision des textes administratifs
Pour garantir une révision efficace, inclusive et cohérente des textes juridiques applicables à l’administration, il est essentiel de mettre en place une commission spécialisée composée d’experts juridiques, de représentants des administrations publiques et de membres de la société civile.
Cette commission aura pour missions :
De superviser la révision des textes ;
D’établir un calendrier clair et d’élaborer un plan de révision systématique des textes ;
D’auditer et de déterminer l’ensemble des textes administratifs concernés ;
De contrôler et d’évaluer les impacts de la réforme en vue d’identifier les ajustements nécessaires à faire pour adapter les textes administratifs ;
De proposer des solutions pratiques et techniques selon les cas ;
De Veiller à ce que les nouvelles dispositions soient conformes à la constitution et cohérentes avec l’ordonnancement juridique national et international applicable au Gabon ;
De faciliter la coordination interministérielle et de préparer une stratégie de communication et d’explication de la réforme au public cible (agents publics, partenaires nationaux et internationaux etc.)
1-Impliquer les acteurs concernés
La commission spécialisée de révision des textes devra être constituée d’experts juridiques, des représentants des administrations publiques, des parlementaires et des partenaires sociaux pour garantir que les nouvelles dispositions soient pratiques et adaptées aux réalités du terrain. Le Président de la République pourrait présider cette commission et le Premier ministre pourrait en être le vice-président. Bien évidemment, chacun d’eux pourrait se faire représenter. Les ministres de la Fonction Publique, des comptes publics, de la justice, le secrétaire général du gouvernement ou leurs représentants ainsi que les représentants des organisations syndicales et les experts du droit administratif et du droit constitutionnel, pourraient, par exemple, en être membres.
Une fois constituée, cette commission devra établir un calendrier clair et réaliste pour délimiter la réforme dans le temps.
2-Établir un calendrier clair et réaliste
Le calendrier de la révision des textes administratifs devra être réaliste, c’est-à-dire qu’il devra définir des échéances précises pour chaque étape de la révision, en tenant compte des ressources disponibles et des délais nécessaires.
Par ailleurs, un plan de révision des textes administratifs doit être élaboré, avec des priorités définies en fonction de l’urgence et de l’impact des textes concernés sur le fonctionnement de l’administration. Les textes relatifs à la coordination interministérielle, à la gestion des finances publiques et à la nomination des hauts fonctionnaires devront être traités en priorité.
De plus, au regard de l’imminence de l’entrée en vigueur de la nouvelle constitution, après l’élection du Président de la République (Article 173 de la nouvelle constitution), il serait impérieux de ne pas attendre le dernier moment pour agir au risque d’être pris au piège du temps. Des réunions préparatoires peuvent d’ores et déjà être planifiées a minima.
Une fois le calendrier arrêté, la réforme devra apporter une clarification des compétences et des responsabilités au sein du pouvoir exécutif.
3- Clarifier les compétences et responsabilités
A la lecture des dispositions de l’article 69 de la nouvelle Constitution, le Président de la République sera désormais le Chef du gouvernement en lieu et place du Premier ministre. Paradoxalement, le même texte nous dit que la coordination de l’action gouvernementale (ancienne prérogative du Premier ministre) sera dorénavant dévolue au Vice-Président du Gouvernement (autorité créée par la nouvelle constitution). On peut légitimement se demander pourquoi le Chef du gouvernement n’est pas celui qui assure la coordination de l’action gouvernementale. De plus, en quoi la coordination de l’action gouvernementale serait-elle totalement différente de la mission de supervision du gouvernement dévolue au Président de la République ?
La disposition constitutionnelle suscitée peut créer des confusions et autres difficultés d’interprétation et d’application. C’est pourquoi, pour éviter les chevauchements des compétences, il est nécessaire de réviser les textes administratifs de façon claire et précise. Cela permettra d’élaguer les zones d’ombre et de délimiter les domaines d’action respectifs du Président de la République, du Vice-Président du gouvernement et des ministres.
Par ailleurs, le transfert d’une grande partie des compétences du Premier ministre au Président de la République peut causer à ce dernier une surcharge de travail quand on sait qu’il a déjà d’importantes et lourdes missions. Pour éviter ce risque de surcharge contreproductif, des mécanismes de délégation doivent être mis en place.
En plus de clarifier les compétences et responsabilités, la commission spécialisée devra prévoir des mécanismes de contrôle et d’évaluation de la réforme.
4- Contrôler et évaluer la réforme
La commission spécialisée de révision des textes devra mettre en place un dispositif de contrôle et d’évaluation pour mesurer l’impact de la réforme et identifier les ajustements nécessaires à opérer. L’évaluation devra essentiellement se faire in itinere et ex post.
En matière de contrôle, il faut relever qu’une forte concentration des prérogatives du Premier ministre par le Président de la République, peut être source d’abus de pouvoir.
En effet, le Président risquerait de détenir énormément de pouvoirs et serait difficilement contrôlable sachant déjà que, contrairement au Premier ministre (dans l’ancienne constitution), il ne sera pas politiquement responsable devant le Parlement. C’est pourquoi, au-delà des mécanismes de contrôle administratifs internes, il faudra adapter les contrôles juridictionnels des textes et des actes administratifs aux changements apportés par la nouvelle constitution par exemple.
En plus de toutes ces mesures, une réforme efficace implique la formation de ceux qui seront chargés de la mettre en œuvre. Elle passe également par la mise en place d’une campagne de communication à grande échelle.
Formation du public cible et communication sur les changements
La réussite de cette réforme dépendra, en grande partie, de la capacité des acteurs administratifs à s’adapter aux nouvelles règles qu’ils devront appliquer. Pour ce faire, il sera donc important de former les agents publics (des formations adaptées doivent être organisées pour expliquer les nouvelles dispositions juridiques et les implications pratiques de la suppression du poste de Premier ministre). Il faudra également élaborer des guides pratiques à l’attention des agents administratifs et des usagers du service public.
Hormis les publications dans le Journal Officiel et dans les journaux d’annonces légales, une campagne d’information audiovisuelle et physique doit être menée pour expliquer les nouvelles règles aux citoyens, aux entreprises, aux ONG et, si besoin, aux partenaires internationaux. Cela contribuera à renforcer la transparence et la confiance dans la réforme tout en permettant à tous ces différents acteurs de mieux la cerner.
IV- Conclusion
En somme, la suppression du poste de Premier ministre au Gabon est une réforme juridique et institutionnelle majeure qui nécessite une révision urgente et approfondie des textes administratifs. Cette révision est essentielle pour garantir la cohérence juridique, clarifier les compétences des acteurs et assurer la continuité harmonieuse de l’action gouvernementale et administrative. Cette réforme peut également être l’occasion de simplifier les procédures administratives et de réduire la lourdeur bureaucratique. En abordant cette tâche de manière méthodique, le Gabon peut tirer pleinement profit de cette réforme tout en améliorant la stabilité et l’efficacité de son administration publique.
Biographie de l’auteur
Je suis Marcel Warrel Ella Ebane, juriste, politiste et délégué à la Protection des Données Personnelles (DPO) âgé d’une trentaine d’années. Après une expérience professionnelle de plusieurs années au Gabon, puis en France, essentiellement dans les métiers de juriste et de DPO, j’ai décidé de rentrer au Gabon pour servir mon pays et contribuer à son développement. J’occupe actuellement les fonctions de Chef de Service Juridique et Marchés au Commissariat Général au Plan.
Mon amour pour les questions administratives et la polyvalence de mon profil (Master à Sciences Po Paris en Management des Politiques de Développement en cours d’obtention, Master en droit et contentieux obtenu au Gabon, attestation en évaluation des politiques publiques obtenue à l’Institut National du Service Public en France (ex ENA France) et certificat en Partenariats Public -Privé obtenu à l’Institut d’Administration des Entreprises de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne) m’ont conduit à rédiger une série d’articles dans le but d’éclairer les gouvernants sur les réformes à mener en vue de moderniser l’administration publique gabonaise et de la rendre plus performante.
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Analyse largement appréciée.